3 manières d’estimer le temps de routage d’une carte – Partie 1
« Quand la carte sera-t-elle enfin prête ? Il faut que ça parte en fabrication demain ! »
Qui n’a pas vécu cette situation où l’on doit absolument finaliser un design pour l’envoyer en fabrication, alors que le routage est encore loin d’être terminé ?
L’horloge du monde industriel semble tourner de plus en plus vite et les projets de développement comportent souvent des évolutions imprévues. Les deadlines serrées, les projets en retard et les modifications de dernière minute des plannings semblent assez fréquents dans de nombreuses entreprises. Si vous lisez cet article, vous avez probablement été confronté(e) à la difficulté de donner une bonne estimation du temps nécessaire au routage d’un circuit imprimé.
Très souvent, la date de fin de développement d’un circuit imprimé n’est pas déterminée sur la base d’une estimation du temps de travail nécessaire à sa conception. Au contraire, elle est plutôt fixée par rapport à la date souhaitée pour que le planning initialement prévu tienne la route. Or, ces vœux pieux n’ont malheureusement pas le pouvoir magique d’accélérer le processus de conception – ou en tout cas non sans conséquences. Deux jours de délai pour un travail de routage de cinq jours conduit inévitablement à des difficultés : baisse de qualité, non-respect du délai, longues journées au travail ou frustration pour le concepteur. Ou pire, une combinaison de ces inconvénients.
La joie de faire des heures supplémentaires
De nombreuses situations nécessitent une estimation raisonnablement précise du temps nécessaire au routage d’un circuit imprimé donné. Voici quelques exemples :
• Dans une optique de suivi continu : si au bout d’une semaine de lay-out le logiciel de CAO indique que le routage est complet à 20 %, respecte-t-on les délais ? Sans une estimation précise du temps nécessaire, difficile de le savoir.
• Pour un chiffrage : pour un bureau d’étude ou une entreprise proposant des services de conception, le temps nécessaire au design est étroitement lié à la rentabilité.
• Dans la gestion de projets : si le lay-out d’un circuit est voué à prendre deux semaines de retard, mieux vaut le savoir en avance plutôt qu’à la veille de l’envoi en fabrication prévu !
Alors, faire une simple prévision « à vue de nez » du temps de routage semble aisé ? Il s’avère qu’estimer le temps nécessaire pour accomplir une tâche donnée compte parmi les grandes faiblesses du cerveau humain. Ce constat provient d’un sujet d’étude à part entière qui touche à différents mécanismes de la psychologie humaine, décrits entre autres par la loi de Hofstadter [1], la loi de Parkinson [2] et la loi de Fraisse [3]. Malgré leur intérêt, ces différents biais cognitifs ne seront pas traités dans cet article.
La difficulté est encore accentuée par la multitude de paramètres d’un circuit imprimé, contribuant à son degré de complexité de routage. Si la conception de systèmes comme les cartes électroniques requiert du temps et des ressources considérables, il existe peu de recherches concernant la mesure, la compréhension et l’estimation de l’effort nécessaire. [4]
Une estimation à la louche
Toutefois, on connaît des méthodes servant à estimer le temps de lay-out d’un circuit imprimé, basées sur quelques paramètres quantitatifs simples.
Les principaux paramètres contribuant au temps de routage
Le « volume » de la tâche de lay-out peut être évalué en termes de taille physique de la carte, de nombre de composants présents ou encore de nombre total de broches.
La « solvabilité » du routage d’un circuit dépend de plusieurs paramètres comme le nombre de connexions à réaliser (par rapport au nombre de couches de la carte) et la surface disponible autour des composants (rapport entre la surface occupée par les différents composants, sur une ou deux faces d’assemblage, et la surface de la carte).
On pourrait aussi considérer les paramètres appartenant au domaine des circuits très denses. On pense notamment à la surface occupée par des composants embarqués dans les couches internes du circuit. Sans oublier la taille et la densité des perforations par les vias par paire de couches de construction, minimisées grâce aux procédés de fabrication HDI : vias laser, vias enterrés, etc.
Le problème peut paraître complexe. Alors, où commencer dans cette jungle de paramètres ? Je vais par la suite présenter différents modèles d’estimation, des plus simples aux plus complexes dans leur mise en œuvre. Le premier niveau d’estimation sera mis en avant ci- dessous, tandis que l’article suivant sera consacré aux modèles à plusieurs paramètres.
Estimation de niveau 1 : une première approximation éclairée
Certains paramètres contribuent plus que d’autres au temps de routage. Si on devait en choisir un, le nombre total de broches présentes dans le design semble certainement le meilleur candidat. Selon une étude menée par Bazeghi et Renau [4] de l’University of California à Santa Cruz, on peut obtenir, grâce à ce paramètre, une approximation ayant un écart-type de l’erreur d’estimation σ égal à 0.43, statistiquement parlant. En prenant en compte la loi à laquelle semble adhérer la nature du phénomène, cela signifie que l’intervalle de confiance à 90 % s’étend d’un facteur multiplicatif 0.49 à un facteur 2.03, par rapport au temps de routage réel (voir figure 1). Concrètement, une estimation basée uniquement sur le nombre total de broches a 90 % de chance de tomber entre la moitié et le double du temps de routage réellement nécessaire.
Figure 1 : Correspondance entre σ et coefficient multiplicatif selon l’étude de Bazeghi et Renau
Quelle est alors l’utilité d’une estimation donnant des résultats allant « du simple au double » voire de la moitié au double ? En effet, une telle incertitude ne permet pas de faire des miracles. Cependant, il convient de noter qu’une estimation de ce type est relativement simple à mettre en œuvre une fois que les composants constituant le circuit sont connus. Même si l’intérêt de ce modèle de premier niveau peut paraître limité, l’estimation peut
toutefois aider à évaluer la fiabilité d’une approximation initiale « à la louche », purement basée sur l’expérience.&
Supposons que l’on se retrouve un jour avec un travail de lay-out qui ressemble vaguement à un projet passé et que ce dernier ait été finalisé en sept jours. Notre expérience nous dirait alors que le nouveau projet devrait exiger sensiblement le même temps de travail. Si on obtient avec une estimation rapide – dite « de niveau 1 » – une prévision d’une vingtaine de jours pour ce projet, d’importantes différences auraient été négligées entre les deux projets. Par conséquent, il conviendrait de se méfier de nos premières suppositions.
Une autre utilité de ce premier modèle est de permettre à une personne qui ignore les détails techniques du projet de se faire une première idée du temps de routage requis. Par exemple, un chef de projet sans expérience particulière dans la CAO de circuits imprimés pourrait initialement se baser sur ce modèle, quitte à faire affiner la prévision ultérieurement par une estimation plus fiable.
Extraction du paramètre nécessaire et calcul de l’estimation
Le nombre total de broches peut être facilement extrait d’Altium Designer. Cette donnée se trouve dans la partie Board Information du panneau Properties, accessible depuis l’environnement de design PCB.
Figure 2 : Le nombre total de broches présenté dans le panneau Properties dans Altium Designer 19
Une fois le nombre de broches connu, il suffit de diviser ce chiffre par le facteur de performance ρ pour obtenir l’estimation du temps de routage. Le facteur de performance est un coefficient exprimant l’efficacité de routage, qui dépend aussi bien du concepteur (ou de l’équipe de concepteurs) que de l’outil de travail. D’où l’importance du choix d’un logiciel de CAO rapide et performant.&
Afin de connaître ce coefficient, il est primordial de se baser sur l’historique de vos projets de conception en interne. Pour effectuer un premier étalonnage, il faut utiliser au moins un projet représentatif finalisé pour lequel le temps de routage est connu. Ou mieux, faire une moyenne sur un ensemble de projets. À titre d’exemple, la valeur moyenne de ρ dans le cas des designs considérés dans l’étude citée est d’environ
Conclusion
Nous avons vu dans cet article comment faire une première approximation éclairée basée sur un seul paramètre simplement quantifiable. L’utilité de ce modèle d’estimation réside avant tout sa simplicité de mise en œuvre. Dans la seconde partie de l’article seront traités deux autres modèles d’estimation, plus précis mais aussi légèrement plus complexes.
Bibliographie
[1] Hofstadter, Douglas R : Gödel, Escher, Bach: An Eternal Golden Braid. Basic Books, 1999.
[2] Parkinson, Cyril Northcote : Parkinson's Law. The Economist, 19 novembre 1955. Disponible sur: https://www.economist.com/news/1955/11/19/parkinsons-law (20 décembre 2019)
[3] Gombert, Guirec : La loi de Fraisse ou pourquoi une heure n'est pas toujours égale à une heure. Cadreo, 13 juin 2019. Disponible sur : https://www.cadreo.com/actualites/dt-loi- fraisse-activite-gestion-temps (20 décembre 2019)
[4] Bazeghi, Cyrus et Reneau, Jose : Printed Circuit Board Layout Time Estimation. Workshop on Complexity-Effective Design, Boston, Massachusetts, 18 juin 2006. Disponible sur : https://users.soe.ucsc.edu/~renau/docs/wced06.pdf (20 décembre 2019)